Évangélisme en France : une implantation à géographie variable

Anaïs RICHARD
6 min readFeb 9, 2022

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Présente dans l’hexagone depuis le XVIème siècle, l’église évangélique voit son nombre d’adeptes augmenter d’année en année. Une évolution qui cache des disparités de répartition sur le territoire.

Sur une grande scène éclairée par des néons flambants neufs, un homme vêtu de noir interprète avec passion une chanson reprise par la foule. « Joie pour le monde, le sauveur règne. Chantons-lui nos louanges ». Son et lumière, tonnerre d’applaudissements : le lieu a tout d’une salle de concert. En réalité, les centaines de personnes présentes ce dimanche à l’église Martin Luther King de Créteil (Val-de-Marne) célèbrent la messe. Tous sont des protestants évangéliques, un courant du christianisme où la Bible occupe une place centrale. Il est caractérisé par une relation personnelle avec Jésus, qui commence à la “nouvelle naissance”, lorsque le croyant accepte le pardon du Christ et se convertit. Traditionnellement, les fidèles adhèrent à une théologie conservatrice.

La moitié des protestants sont évangéliques

Peu présent en France au siècle dernier, l’évangélisme a le vent en poupe. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cette branche du protestantisme comptait 50 000 fidèles. Ils seraient désormais 745 000 pratiquants réguliers, pour plus d’un million de croyants. Une expansion éclair contrastant avec une société française de moins en moins religieuse. En 2021, 51 % des Français affirmaient ne pas croire en Dieu, contre 44 % dix ans plus tôt.

Le protestantisme est aujourd’hui la troisième religion de France en nombre de fidèles, devant le judaïsme et derrière l’islam. En 2019, les protestants représentaient 3 % de la population française selon un sondage ViaVoice commandé par l’Observatoire de la laïcité. La moitié seraient évangéliques. En 2020, le sociologue des religions Sébastien Fath a estimé le nombre d’évangéliques dans le monde à 660 millions, ce qui représente près du quart des chrétiens.

La recette du succès de ce mouvement religieux : un prosélytisme efficace basé sur des discours simples et une adaptation permanente au monde moderne. « La foi évangélique a un côté très plastique du fait de sa décentralisation », explique la chercheuse Sophie Gherardi. « On revendique une approche personnelle de la spiritualité, une relation privilégiée avec Dieu qui répond à l’individualisme ambiant de la société », ajoute Romain Choisnet, du Comité national des évangéliques de France (CNEF).

« On est pour la religion ce que Mélenchon est en politique »

Autre raison évoquée, la maîtrise des codes contemporains « tant dans l’utilisation de la musique que de la lumière lors des célébrations ». L’église MLK de Créteil aurait ainsi « la salle de congrès la mieux équipée de France » selon le communiquant. Lorsque les fidèles pénètrent dans leur église, ils bénéficient d’un son immersif et d’un écran à 360 degrés. « On est pour la religion ce que Mélenchon est en politique », plaisante Romain Choisnet.

Cette volonté d’être à la pointe de la technologie a un coût. Le matériel vidéo représente un poste d’investissement conséquent pour les grands centres religieux comme Impact Centre Chrétien, implanté dans 39 villes, de Cergy à Lille en passant par Reims. Les dépenses consacrées à la vidéo de cette « méga-église » sont passées de 114 455 euros en 2015 à 290 424 euros en 2019, soit une hausse de plus de 150 %. L’excédent brut de l’association suit une dynamique similaire : il a triplé entre 2015 et 2019, témoignant de son expansion.

Un budget financé principalement par les dons de fidèles versant la dîme : un don mensuel pouvant aller jusqu’à 10 % des revenus de la personne, additionné aux autres offrandes qui sont monnaie courante dans ce mouvement, jusqu’à parfois mener à des dérives. Intégrées dans des unions plus larges, les églises peuvent également mettre leurs ressources financières en commun pour se développer et s’implanter sur le territoire.

Drôme et Seine-Saint-Denis en haut du podium

Grâce à son adaptation au monde moderne et à son fonctionnement en réseau, l’église évangélique s’étend, en résulte un ancrage sur le territoire français dans son ensemble. Objectif affiché par le CNEF : implanter 10 églises pour 100 000 habitants en France. « Actuellement c’est dix pour près de 300 000 », commente Romain Choisnet.

Pour mieux comprendre la répartition territoriale des églises évangéliques françaises, nous avons compilé les adresses répertoriées sur le site du CNEF, qui possède la base de données la plus actualisée et complète sur le sujet. Afin de prendre en compte la population dans nos résultats, nous avons calculé le taux de pénétration de l’évangélisme en France. À ce titre, nous avons mis en parallèle nombre d’églises et population dans un territoire donné. Cette carte représente le nombre d’églises pour 100 000 habitants dans chaque département de France métropolitaine.

En analysant les données compilées, nous avons fait le constat suivant : la répartition des églises est pour l’instant inégale et dans certains départements comme les Outre-Mer, la Drôme et la Seine-Saint-Denis, le taux de pénétration — nombre d’églises pour 100 000 habitants — est bien plus important.

Ce développement de l’église évangélique concerne le territoire français dans son ensemble. Objectif affiché par le CNEF : implanter une église pour 10 000 habitants en France. « Actuellement, c’est une pour 29 000 », commente Romain Choisnet.

Pour Sophie Gherardi, directrice du Centre d’étude du fait religieux contemporain, ces disparités s’expliquent par une double dynamique. Elle distingue deux cas de figure spécifiques, en fonction de la zone géographique d’implantation. Pour les Cévennes et la Drôme, « il y a un phénomène d’ancrage historique. Ces secteurs ont constitué le berceau de l’évangélisme ». Malgré l’idée généralisée que l’évangélisme est une importation récente de croyances américaines ou brésiliennes, sa présence en France remonte en réalité au XVIème siècle.

« En Alsace il y a des vieilles unions évangéliques qui sont là depuis longtemps comme les mennonites, alors que dans la vallée du Rhône, il existe un fort héritage protestant des Huguenots », décrit Romain Choisnet. À l’inverse, les protestants sont moins nombreux dans les bassins à forte tradition catholique comme la Bretagne.

Pour des départements comme la Seine-Saint-Denis, « la présence d’églises évangéliques est une manifestation récente de l’évangélisme, qui date du milieu du siècle dernier », explique Sophie Gherardi. Une partie importante de ces croyants est issue de l’immigration. À leur arrivée, ils auraient importé leur pratique religieuse ou se seraient convertis, en rejoignant des lieux de culte liés à la diaspora de leur pays d’origine. « Ces églises ont une foi de l’accueil du migrant. Ces derniers peuvent y trouver un mode de socialisation religieuse qui leur convient. »

Si les évangéliques ont su s’adapter à la modernité, la plasticité de leur culte leur permet aussi de s’adapter aux différentes spécificités culturelles. Union des églises évangéliques haïtiennes et afro-caribéennes de France, Communauté des églises d’expression africaine en France : les origines ethniques se retrouvent dans les dénominations de certaines fédérations d’églises et dans certains prêches. Dans un même département, il est possible d’entendre une messe en arménien, tsigane voire tamoul.

Ainsi, l’Union des Églises Évangéliques Arméniennes de France regroupe 10 églises, la Mission Évangélique des Tziganes en France en compte 216, l’Union des Églises Évangéliques Haitiennes et Afro-Caribéennes de France rassemble 22 églises et la Communauté des Églises d’Expression Africaine en France revendique 45 églises. En prenant ces quatre unions comme référentiels, les églises liées à une diaspora représentent 11 % des églises évangéliques de France. Cela reste une fourchette basse, de nombreuses églises communautaires n’étant pas forcément déclarées comme telles ou reconnues par le CNEF.

Si nous nous concentrons sur les deux départements au taux de pénétration le plus élevé, on note que parmi les 98 églises séquano-donysiennes référencées, sept font partie de l’union haïtienne et afro-caribéenne, quatre sont tziganes, et 15 sont d’expression africaine. Sur les 39 églises drômoises, on décompte seulement une église tzigane et deux églises arméniennes.

En Seine-Saint-Denis, la proportion d’églises liées à une diaspora est bien plus élevée que dans des départements marqués par un protestantisme historique tels que la Drôme. Mais des églises aux effectifs plus réduits prônent au contraire le multiculturalisme, comme l’indique Romain Choisnet, du CNEF. « Dans une église de trente ou quarante membres, il n’est pas rare de croiser une dizaine de nationalités différentes, surtout en Île-de-France ».

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